Au Yémen, Al Qaeda progresse
Depuis l’élection le mois dernier du nouveau président, Abed Rabbo Mansour Hadi, les attaques du groupe terroriste à l’encontre d’installations gouvernementales et militaires se sont dangereusement intensifiées, pour la plus grande inquiétude des Etats Unis.
Plus discret que la Tunisie ou l’Egypte, le Yémen a lui aussi amorcé sa transition démocratique. Soutenu par la Ligue Arabe et par les Etats Unis, le président élu Hadi a mis fin à 33 ans de pouvoir du dictateur Ali Abdullah Saleh. Si son premier chantier était clairement de réunifier un pays profondément divisé et de se construire une légitimité auprès des opposants d’hier (M. Hadi était le vice-président de Saleh), la montée en puissance d’Al Qaeda change ses plans. Sous la pression des Etats Unis, la lutte contre le terrorisme est devenue sa première priorité.
Le Yémen présente un terrain fertile pour le mouvement de feu Oussama Ben Laden. Le pays est pauvre, proche du statut de « narco état », ethniquement et religieusement fracturé, l’Etat a abandonné ses prérogatives dans de nombreuses régions laissées à l’abandon et la logique tribale reste importante pour une large frange de la population. L’armée, quant à elle, épine dorsale du combat contre Al Qaeda, est à l’image du pays : fracturée et obéissant plus volontiers aux chefs de tribus dont ses soldats sont issus qu’au gouvernement de Sanaa.
Dans ce contexte, la branche locale d’Al Qaeda inaugure une stratégie nouvelle et terriblement efficace. Traditionnellement, le groupe terroriste s’appuie sur les chefs tribaux et sur les groupes criminels de la région où il est implanté (c’est sa stratégie en Afghanistan ou dans le désert saharien par exemple).
Au Yémen, il combine cette alliance « classique » avec une approche politique et sociale.
Au sud du pays, où des régions entières sont de facto sous le contrôle du groupe, Al Qaeda garantit la sécurité, rend la justice et distribue des aides à la population. Une stratégie de montée en puissance « politique » qui tranche avec une approche jusqu’ici purement militaire et terroriste.
Mais ne nous leurrons pas : Al Qaeda n’amorce pas une mue qui l’amènerait à devenir un avatar des Frères Musulmans. Ces nouvelles méthodes ne visent qu’à fournir au groupe les moyens de « poursuivre la lutte ». En témoigne l’attaque, ce 25 février, contre le palais présidentiel de Mukalla (26 officiers yéménites ont été tués) ou la série d’assauts contre des bases militaires dans le sud du pays qui se déchainent depuis le début du mois de mars (plus de 180 soldats sont morts, alors qu’Al Qaeda a pu s’emparer d’armes lourdes).
Face à cette situation, le tout nouveau gouvernement yéménite, encore instable, parait impuissant. Paradoxalement, l’implantation géographique très nette d’Al Qaeda rend plus difficile des frappes militaires ou des attaques de drones américains. Le risque est en effet double : toucher des populations civiles et donner le sentiment que le pays replonge dans l’éternelle guerre civile Nord/Sud. Ce risque, le président Hadi ne peut pas se permettre de le prendre, et les Etats Unis ne pourraient pas se permettre de le soutenir dans cette voie.